La minute du Boss : La licorne, l'arbre qui cache la forêt des freelances ?

Dans l'imaginaire collectif du monde économique, les "licornes" évoquent des startups valorisées à plus d'un milliard de dollars. Les "centaures" sont les entreprises qui génèrent plus de $100M de chiffre d'affaires annuel récurrent. Les poissons-clowns sont les start-ups qui ont besoin des autres pour vivre, comme certaines biotechs. Mais à force de ne regarder que les start-ups, on oublie parfois la richesse et la diversité des entreprises, petites et grandes, qui façonnent l'économie mondiale. Parmi les contributeurs à cette richesse, la part des auto-entrepreneurs, freelances, et autres "solopreneurs" ne fait que croître.

De nouveaux codes

Portés par la révolution numérique et les changements socio-économiques, ces travailleurs indépendants redessinent le tissu entreprenarial, avec de nouveaux codes, de nouvelles pratiques, et de nouvelles libertés. Aujourd'hui, les auto-entrepreneurs et les freelances ne sont plus des acteurs marginaux de l'entreprenariat, mais des forces grandissantes qui façonnent de nouveaux modèles d'entreprise. Ils apportent une agilité et une expertise spécialisées que les grandes entreprises peinent parfois à reproduire.

Même si leur nom évoque le loup solitaire (pour rester dans le bestiaire), ces entrepreneurs d'un nouveau genre ne travaillent généralement pas de manière isolée. Ils ont ouvert la voie à de nouvelles formes d'organisation du travail, telles que les collectifs et les plateformes en ligne, permettant des collaborations flexibles et des synergies innovantes. Les plateformes en ligne facilitent la mise en relation entre entreprises et freelances, créant un écosystème où l'expertise est accessible à la demande. Quant aux collectifs, ils réunissent des talents variés pour répondre à des besoins spécifiques2 de clients. Éphémères pour un projet donné, organisés de façon pérenne, voire coopérative, leurs formes sont diverses.

Cette évolution vers des modèles de travail plus flexibles apporte des avantages significatifs, tant aux travailleurs indépendants qu'à leurs clients, qu'ils soient des start-ups ou des entreprises traditionnelles. La flexibilité et l'accès à un pool de talents variés ne sont que quelques-uns des nombreux avantages que permet cette nouvelle façon de travailler. Toutes les entreprises peuvent désormais accéder à des compétences spécifiques pour un projet précis, sans avoir à attendre les délais incompressibles d'un recrutement (même temporaire), ni solliciter une entreprise qui place ses salariés en régie (ESN, bureau d'étude ou agence) ou cabinet de conseil spécialisé. Parmi les entreprises que j'accompagne, certaines ont même un Comité de Direction "à temps partiel" pour la majorité des cadres dirigeants. RH, marketing, finances... L'accès à des personnes expérimentées, qui peuvent donner la vision et l'impulsion aux équipes sur un tiers ou mi-temps, est une des nouvelles façons de piloter son entreprise avec les meilleures compétences disponibles - mais pas à plein temps.

Collaborer avec des freelances reste 8pourtant un défi pour la plupart des entreprises

Les trouver est le premier défi. Si les plateformes en ligne donnent accès à une partie du marché, elles ne remplacent pas la recommandation d'un pair, et n'ont généralement pas les profils les plus seniors - dont les noms circulent dans les réseaux d'entreprise, ou sur LinkedIn. Une autre source pour trouver un freelance ? Un autre freelance, bien sûr. Les spécialistes connaissent des experts d'un autre métier adjacent. Les généralistes, comme un Sparring Partner, ont le plus souvent un réseau entier de professionnels qu'ils sollicitent pour leurs clients.

Une fois la bonne personne dénichée, les dirigeants doivent aussi apprendre à travailler avec elle. Dans les pays anglo-saxons, on appelle les indépendants des "contractors" : leur contrat avec l'entreprise n'est pas un "contrat de travail", mais reste un contrat pour qu'ils travaillent au service de l'entreprise... Ils ont une disponibilité différente des salariés à temps plein. Ils sont parfois à distance, voire ne se déplacent jamais dans les locaux de l'entreprise. Ils n'ont pas la culture et les habitudes de l'interne. Ils se sentent, pour les plus seniors d'entre eux, souvent plus libres de prendre des initiatives, de proposer des améliorations, voire de dire leur désaccord avec certains éléments établis.

C'est souvent à cause de ce dernier point que les dirigeants sont frileux. Pourtant, au-delà des compétences spécifiques nécessaires à certains projets, c'est bien ce regard extérieur, porteur d'expériences d'autres entreprises, voire secteurs, qui apporte souvent le plus de fraîcheur aux organisations. Et la meilleure manière de ne pas se reposer sur ses lauriers et garder un temps d'avance, reste tout de même d'être challengé par un nouvel arrivant ou un tiers, qui est précisément la définition du freelance.

Laura Bokobza est dirigeante-fondatrice du cabinet LBK Consulting qui aide les dirigeants à développer leur business à toutes les étapes de la vie d'une entreprise, de la start-up à l'entreprise établie. Elle est membre élue au Conseil d'Administration de l'association Finaqui des business angels de Nouvelle-Aquitaine.