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Du maintien de l'activité des entreprises au délit de banqueroute

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Du maintien de l'activité des entreprises au délit de banqueroute

Les dirigeants d'une entreprise peuvent être poursuivis pour délit de banqueroute même à raison de faits commis avant la survenance de l'état de cessation des paiements, et non pas pour leurs seuls agissements consécutifs à la survenance de cet état.

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La chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser le champ temporel des faits susceptibles de constituer le délit de banqueroute(1).

Qu'est-ce que la banqueroute ?

La banqueroute constitue un délit sanctionnant les dirigeants qui se rendent coupables par leur gestion d'aggraver frauduleusement la situation financière de l'entreprise. Il s'agit, plus précisément, des agissements limitativement visés au code de commerce(2), et notamment le fait de :

· éviter ou retarder l'ouverture d'une procédure collective par des moyens ruineux,

· diminuer frauduleusement l'actif ou augmenter frauduleusement le passif,

· tenir une comptabilité fictive ou irrégulière, voire n'en tenir aucune.

Ce délit est assorti de toute une panoplie de sanctions, allant de l'amende (jusqu'à 75.000€ pour les personnes physiques, quintuplée pour les personnes morales) à l'interdiction de diriger ou de gérer, mais aussi l'emprisonnement et la dissolution.

Le lien supposé entre cessation des paiements et banqueroute

L'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est nécessaire à la caractérisation du délit de banqueroute, résultant des textes légaux. Cependant, les textes ne prévoient pas sur quelle période des faits peuvent être constitutifs de banqueroute.

Dans ces conditions, il était habituellement considéré que seuls les faits commis en état de cessation des paiements (lequel est caractérisé par l'impossibilité pour une entreprise de faire face à son passif exigible avec son actif disponible) pouvaient recevoir une telle qualification. Récemment, la Cour de cassation a qualifié de banqueroute le fait pour un dirigeant de « continu[er] à se faire octroyer, après la cessation des paiements, une rémunération excessive »(3).

Dans l'affaire qui nous intéresse(4), le Tribunal de grande instance a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice d'une SCI et a fixé la date de cessation des paiements au 13 septembre 2013. Le Tribunal correctionnel, saisi des chefs de banqueroute notamment pour tenue irrégulière de comptabilité au titre de l'exercice clos en 2011 et absence de comptabilité au titre des exercices clos en 2012 et 2013, a pour sa part fixé la cessation des paiements au 21 mai 2012 et reconnu les dirigeants coupables de banqueroute « pour les faits commis à compter de cette date ».

En appel, les dirigeants ont été relaxés. La Cour d'appel a, d'une part, écarté la date de cessation des paiements fixée par le tribunal correctionnel au 21 mai 2012 pour retenir celle fixée par le Tribunal de grande instance au 13 septembre 2013 et, d'autre part, jugé que l'élément moral de l'infraction faisait défaut. La Cour de cassation s'est trouvée saisie de l'affaire.

Le délit de banqueroute est décorrélé de l'état de cessation des paiements

Par un arrêt rendu le 25 novembre 2020, la Cour de cassation a dissocié la caractérisation du délit de banqueroute de l'état de cessation des paiements (5).

Si les premiers commentaires (6) consacrés à cet arrêt sont relatifs à la question de l'élément intentionnel du délit (la Cour ayant jugé que celui-ci est caractérisé par la seule conscience de se soustraire à ses obligations comptables), la position de la Cour relative à la condition de l'état de cessation des paiements est tout aussi importante.

L'associé de la SCI reprochait à la Cour d'appel d'avoir fixé la date de l'état de cessation au 13 septembre 2013, à l'instar du tribunal de la procédure collective, et non plus tôt, comme l'avait fait le Tribunal correctionnel. Si l'arrêt ne précise pas la date de clôture des comptes de la SCI (celle-ci ne coïncidant pas nécessairement avec l'année civile (7)), l'on devine que l'enjeu était de faire entrer les faits litigieux dans le champ temporel supposé du délit de banqueroute, à savoir l'état de cessation des paiements.

La Cour de cassation s'écarte de la position habituellement admise et juge que la date de l'état de cessation des paiements « est sans incidence sur la caractérisation de ces délits [de banqueroute], qui peuvent être retenus indifféremment pour des faits commis antérieurement ou postérieurement à la cessation des paiements ». Partant, les faits litigieux peuvent être constitutifs de banqueroute qu'ils aient, ou non, été commis en état de cessation des paiements.

La portée limitée de cette extension temporelle de la banqueroute

Générale et absolue, la position de la Cour révoque une limite temporelle au-delà de laquelle les agissements des dirigeants ne pouvaient être constitutifs de banqueroute, à savoir la date de cessation des paiements.

Si cette solution est conforme aux textes instituant le délit de banqueroute, lesquels ne prévoient pas une telle limitation, elle intervient au détriment des chefs d'entreprise.

Il faut toutefois en relativiser la portée en rappelant, d'une part, que la date de l'état de cessation des paiements est fixée a posteriori par le tribunal de la procédure collective et, d'autre part, que les juridictions pénales peuvent s'écarter de la date fixée par ce dernier (8). Par conséquent, les chefs d'entreprises n'ont qu'un contrôle limité sur la date de cessation des paiements.

La parution de cet arrêt donne cependant l'occasion de rappeler les risques auxquels s'exposent les dirigeants dans leurs efforts visant à préserver leurs entreprises en cette période difficile. Alors que les aides accordées aux entreprises depuis la survenance de la pandémie se sont traduites par un effondrement du nombre de procédures collectives ouvertes sur une année(9), les moyens déployés au soutien de l'activité doivent demeurer légitimes. Les outils préventifs de règlement des difficultés (conciliation et sauvegarde judiciaires) - significativement renforcés au cours des derniers mois - doivent être utilisés pour limiter le risque pénal.

Pour en savoir plus

Rémi Kleiman, avocat associé et Senior Office Partner du bureau de Paris au sein du cabinet Eversheds Sutherland est spécialisé en matière de contentieux commerciaux, traitement des difficultés des entreprises et droit pénal des affaires. Le cabinet regroupe 68 bureaux opérant dans 32 pays et conseille en France des entreprises de taille intermédiaires comme des grands groupes.



(1) Cass. Crim., 25/11/20, n°19-85.205 - F-P+B+I.

(2)Article L. 654-2.

(3)Cass. Crim., 18/03/20, n°18-86492 - F-P+B+I.

(4)Cass. Crim., 25/11/20, n°19-85.205 - F-P+B+I.

(5)Supra.

(6)Lexbase Quotidien, 08/12/20, V. Téchené, [Brèves] Banqueroute : caractérisation de l'élément intentionnel pour absence de comptabilité ou tenue d'une comptabilité manifestement irrégulière, - Editions Législatives, Droit des affaires, 14/12/20, P. Roussel-Galle, L'élément intentionnel du délit de banqueroute et - Lamy droit des affaires n°166, 01/01/21, Banqueroute : la seule conscience de l'auteur de se soustraire à ses obligations comptables suffit.

(7)CE, 10/07/07, n° 287661, BOI-RFPI-CHAMP-30-20 n° 165.

(8)Cass. Crim., 23/05/13, n°12-81.199, inédit, rejet.

(9)En recul de 36%, voir OCED, Bulletin de santé des entreprises en France et en Île-de-France, 01/01/21.



 
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