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Le client mystère : un client qui ne vous veut pas que du bien !

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Le client mystère : un client qui ne vous veut pas que du bien !

Par un arrêt du 6 septembre 2023 publié au bulletin , la Cour de cassation a admis la recevabilité d'une preuve obtenue par l'employeur au moyen du recours à un « client mystère » mis en place afin de contrôler l'activité des salariés.

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« Où commence le mystère finit la justice », disait-il ...

Les entreprises sont régulièrement tentées de mettre en place des dispositifs de contrôle et de surveillance de l'activité des salariés afin de s'assurer du bon fonctionnement des opérations. La possibilité de contrôler l'activité des salariés est pour autant limitée au regard de la frontière avec le droit au respect à la vie privée et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation revient sur l'application d'un stratagème d'investigation singulier consistant à contrôler l'activité des salariés à travers le recours à un « client mystère ». Méthode d'évaluation valable ou moyen de contrôle clandestin, quelles sont les limites du recours à ce dispositif ? L'occasion est de revenir en ce début d'année sur l'objectif de cette pratique et ses conditions d'application.

Du contrôle qualité au contrôle de l'activité des salariés

Bien connu des services de contrôle de la qualité en entreprise et de marketing, le « client mystère » est devenu aujourd'hui un moyen de contrôle licite du comportement et de l'activité des salariés.

Dans l'affaire soumise à la Haute juridiction, une société spécialisée dans l'activité de restauration aux services des voyageurs avait fait intervenir un « client mystère » afin de vérifier les procédures de vente des salariés. C'est alors, à l'occasion de la visite de ce « client mystère », qu'un salarié, employé de restaurant libre-service n'avait pas respecté les procédures d'encaissement mises en place au sein de la Société. En particulier, d'après le compte-rendu réalisé, ce salarié n'avait pas édité et remis de ticket de caisse au client.

Dans ce contexte, le salarié s'était vu notifié une mise à pied disciplinaire puis un licenciement en raison des fautes commises. Le salarié contestait les sanctions infligées, considérant que l'employeur avait eu recours à un stratagème déloyal de sorte que les éléments de preuve recueillis n'étaient pas recevables.

Rappelons que certains procédés similaires avaient déjà été jugés par le passé comme illicites étant considérés comme des stratagèmes clandestins pouvant notamment porter atteinte à la vie privée du salarié. Tel a été le cas lorsqu'un employeur avait mandaté des témoins afin de surprendre une vendeuse lors de l'encaissement de produits à son insu[1].

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a toutefois admis la licéité de cette méthode d'évaluation professionnelle dans la mesure où le salarié concerné a été expressément informé, préalablement à sa mise en oeuvre, de cette méthode conformément à l'article L. 1222-3 du Code du travail. A noter que la Cour de cassation ne s'est toutefois pas prononcée sur la justification du recours à ce dispositif de contrôle, qui par principe doit être pertinent au regard de sa finalité[2].

En pratique, dans la mesure où ce dispositif de contrôle est par essence ponctuel, un tel recours semblerait difficilement attentatoire aux droits et libertés des salariés.

Un client mystère pas si mystérieux : Information des salariés et consultation du CSE

A travers cet arrêt, la Cour de cassation autorise les employeurs à recourir à ce dispositif de contrôle, qui est d'ailleurs de plus en plus utilisé notamment dans les secteurs d'activités où les salariés sont en contact régulier avec la clientèle.Toutefois, ce recours à un « client mystère », n'appartenant pas au personnel de l'entreprise, est admis seulement lorsque certaines conditions préalables sont réunies :

  • les salariés concernés ont été expressément informés de l'existence de ce dispositif mis en oeuvre à son égard et ses finalités[3] ;
  • le Comité social et économique (« CSE ») a été informé et consulté, préalablement à sa mise en oeuvre, sur cette technique permettant un contrôle de l'activité[4].

Dans la présente affaire, la Cour d'appel avait eu l'occasion de relever que l'employeur avait bien informé préalablement le salarié concerné de l'existence de cette méthode. Pour cause, l'employeur avait produit d'une part, un compte-rendu de réunion du comité d'entreprise faisant état de la visite de « clients mystères » indiquant le nombre de leurs passages ainsi qu'une note d'information des salariés, ayant fait l'objet d'un affichage, faisant état du fonctionnement et de l'objectif du dispositif.

En pratique, les entreprises ont tout intérêt à porter attention à la formalisation écrite de l'information préalable des salariés et de la consultation du CSE poursuivie puisque ces éléments permettent de démontrer le caractère licite des éléments de preuve recueillis par ce dispositif. En outre, ils devront veiller à bien justifier le recours à ce dispositif et mentionner les finalités poursuivies pour éviter que ne soit remis en cause la loyauté du dispositif en cas de contentieux.

Utilisation des résultats au service d'une procédure disciplinaire

Dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation précise que dès lors que le dispositif de contrôle était licite, l'employeur pouvait utiliser les résultats de l'investigation au soutien d'une procédure disciplinaire. A noter que dans le cas présent, seule la licéité du mode de preuve utilisé était en cause, l'appréciation de la sanction octroyée au salarié étant soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond qui a d'ailleurs considéré le licenciement de ce dernier justifié.

Cette possibilité d'utiliser les résultats issus de l'investigation du « client mystère » à des fins disciplinaires se justifierait outre sa licéité, par la loyauté du dispositif et la transparence à l'égard des salariés sur les règles applicables et ses finalités.

En pratique, cette méthode d'investigation présente un intérêt majeur pour les entreprises puisqu'elle permet de s'assurer du bon fonctionnement de l'activité et identifier les éventuelles anomalies notamment au sein des points de vente, et ce de manière inopinée.

Les entreprises sont donc invitées à étudier l'opportunité d'instaurer ce dispositif visant à mandater des « clients mystères » pour contrôler l'activité des salariés au regard de leur secteur d'activité ou tout du moins, à s'assurer de sa conformité au cadre légal en vue de sa pleine effectivité.

Gageons que les entreprises sauront faire bon usage de cette jurisprudence à l'heure où l'expérience client est devenue un baromètre essentiel pour toute entreprise. Reste aussi à bien choisir son « client mystère » sur un marché porteur avec notamment le « client mystère digital » qui devrait, à son tour, donner lieu à de nouvelles décisions sur la loyauté de cette preuve.

[1] Cass. Soc., 19 novembre 2014, n°13-18.749

[1] Article L. 1121-1 du Code du travail

[1] Article L. 1222-3 du Code du travail

[1] Article L. 2312-38 al. 3 du Code du travail


Johann Sultan est associé au sein du cabinet Lerins. Avocat au barreau de Paris, il intervient, tant en conseil qu'en contentieux, dans tous les aspects du droit social.




Natacha Mayer est collaboratrice au sein du cabinet Lerins. Avocate au barreau de Paris, elle est spécialisée en droit social.




 
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