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Liberté d'expression dans l'entreprise : le droit de manifester son désaccord...poliment

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Liberté d'expression dans l'entreprise : le droit de manifester son désaccord...poliment

Un salarié peut-il être en désaccord avec son employeur ? La réponse est incontestablement oui. Peut-il le dire à son employeur ? La réponse est moins affirmative. Tout dépend des circonstances. L'arrêt rendu par la Cour de Cassation du 17 mars 2021 rappelle les règles applicables.

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La liberté d'expression ne doit pas être confondue avec le droit d'expression figurant à l'article L. 2281-1 du Code du travail, qui est le droit de s'exprimer directement et collectivement sur les conditions d'exercice et l'organisation de son travail et de proposer les améliorations.

La liberté d'expression est un droit purement individuel : le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci d'une liberté d'expression. Pour autant, le salarié ne peut pas abuser ce cette liberté.

Un salarié dessinateur au sein d'un cabinet d'architecte est licencié pour avoir adressé à son employeur un compte-rendu d'un entretien qu'il a eu avec ce dernier, document au terme duquel il réitère les propos qu'il a tenus, à savoir, la malhonnêteté de son employeur, sa mauvaise foi, son absence de moralité ; s'y ajoutent des prétendues irrégularités commises par l'employeur au regard des règles du droit du travail, la production d'un travail bâclé, l'acceptation de signatures de complaisance, la remise en cause du choix des sous-traitants et de l'organisation des tâches au sein de l'entreprise.

On peut comprendre aisément que l'employeur n'ait pas apprécié le contenu de ce document. La Cour d'appel juge le licenciement fondé estimant que le salarié " a émis de nombreuses et fortes critiques sur des éléments qui relèvent du pouvoir exclusif et discrétionnaire du chef d'entreprise quant à l'organisation et au fonctionnement de l'entreprise ". Elle considère que ces critiques constituent un acte d'insubordination. Mais la Cour de Cassation n'est pas de cet avis, retient le moyen soulevé par le salarié et casse l'arrêt.

La liberté d'expression : une liberté fondamentale

La liberté d'expression est un droit constitutionnel et un droit garanti par la convention européenne des Droits de l'Homme.

Comme pour toute liberté et conformément à l'article L. 1121-1 du Code du travail, il ne peut être apporté à celle-ci que des " restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. "

En 1999, la Cour de Cassation consacre la liberté d'expression du salarié qui peut " être amené à formuler dans l'exercice de ses fonctions des critiques, même vives, et alors que le document ne comportait pas de termes injurieux ou diffamatoires ", la Cour ajoutant que le document litigieux avait été diffusé au sein d'un cercle restreint. Ultérieurement, elle a précisé que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci d'une liberté d'expression.

Les règles sont donc posées. Le principe est, la liberté d'expression, l'exception : l'abus !

Or, cet abus ne sera pas caractérisé dès lors que :

- les propos sont tenus ou diffusés, via un document, dans un cercle restreint. Tel fût le cas, dans l'arrêt du 17 mars 2021, puisque les critiques du salarié n'avaient été émises que dans le cadre d'une réunion entre lui et les deux cogérants, le compte rendu n'ayant été adressé qu'à ces derniers.

- Les propos ne sont ni injurieux, ni diffamatoires ni excessifs.

Il semblerait que qualifier son employeur de malhonnête, de mauvaise foi et dénué de moralité, ne constitue pas des propos excessifs.

Une jurisprudence pas toujours aisée à appréhender

En 2016, la Cour de cassation avait jugé injurieux et diffamatoires les propos d'un salarié qui accusait son employeur d'avoir " toujours fait travailler des sans-papiers ". Il avait aussi décrit sa " dernière magouille concernant le chômage partiel " et indiqué qu' " en plus du travail dissimulé, du non-paiement des cotisations patronale et salariale, c'est une nouvelle arnaque que la police financière et le procureur de la république ne laisseront pas passer en temps de crise ".(2)

En 2003, le fait de qualifier la nouvelle organisation " d'armée mexicaine " et de mettre en cause sans raison la loyauté du dirigeant, caractérisent des propos excessifs.(3)

En revanche, et plus récemment, dans une affaire où le salarié avait adressé deux lettres évoquant des pratiques d'escroquerie et d'abus de confiance envers les clients, la Cour de cassation a cassé un arrêt qui avait retenu que les allégations constituaient par leur caractère outrancier un excès de la liberté d'expression. Elle estime non seulement que les termes utilisés n'étaient ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs, mais elle retient aussi que les lettres étaient une réponse à deux avertissements et avaient été adressées uniquement au directeur de région.(4)

Il n'est donc pas toujours aisé de déterminer si les propos tenus sont excessifs ou injurieux, ce d'autant que la Cour de cassation considère qu'il faut aussi tenir compte du contexte dans lequel les propos sont tenus, de la publicité donnée par le salarié et des destinataires des messages.

A titre d'exemple, elle considère qu'il n'y a pas d'abus lorsque " les propos incriminés avaient été tenus dans un message destiné à des salariés et représentants syndicaux à propos de la négociation d'un accord collectif pour défendre des droits susceptibles d'être remis en cause " ou encore lorsque l'employeur a entamé la polémique. Et qu'elle y ajoute un critère, à savoir la nature du poste et des fonctions occupées par le salarié : un cadre est traditionnellement tenu par une obligation de réserve et de loyauté renforcée.

Des sanctions lourdes de conséquences en cas d'erreur

Ce sont donc l'ensemble de ces critères dont doit tenir compte l'employeur avant d'entamer une procédure disciplinaire à l'encontre du salarié " expressif ". Et il a tout intérêt à ne pas se laisser emporter par son ressenti, car la violation de la liberté d'expression entraine la nullité de la sanction, c'est-à-dire en cas de licenciement, la nullité de celui-ci et la réintégration du salarié si ce dernier la demande. La nullité déjà reconnue par la Cour de cassation (arrêt Clavaud du 28 avril 1988) a été consacrée par l'article L. 1235-3-1 du Code du travail en tant que violation d'une liberté fondamentale.

A contrario, l'ensemble de ces critères doit aussi être à l'esprit du salarié, s'il ne veut pas que sa liberté d'expression se transforme en abus et potentiellement se traduise par une sanction disciplinaire justifiée.

Pour en savoir plus

Martine Riou est avocat associé au sein du cabinet Coblence avocats. Spécialisé en droit social, elle conseille et assiste au quotidien des entreprises et groupes issus de secteurs d'activités variés sur le volet social et RH de leurs différents projets. Elle les représente également devant l'ensemble des juridictions.


1. Cour de Cassation 17 mars 2021 n°19-22.039

2. Cour de Cassation 12 février 2016 n° 14-24.886

3. Cour de Cassation 18 novembre 2003 n°01-43.682

4. Cour de Cassation 8 juill. 2020, n°18-13.593

 
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